"Cette petite tâche de café sur le dos de ma main, pendant que j'écris.
Un brun très dilué. Je la nettoie du bout de l'index. Elle résiste.
J'y ajoute de la salive, elle tient bon.
Une tache de peinture ? Non, l'eau et le savon n'y font rien.
La brosse à ongles pas davantage.
Je dois me résoudre à l'évidence :
ce n'est pas une tâche sur ma peau,
c'est une production de ma peau elle-même.
Une marque de vieillesse, remontée des profondeurs.
De celles qui parsèment les vieilles figures
et que Violette appelait des fleurs de cimetière.
Depuis quand a-t-elle poussé là ?
Que je signe des papiers au bureau,
que je mange ou que j'écrive ici à ma table,
le dos de ma main est presque constamment sous mes yeux
et je n'ai jamais remarqué cette tache !
Ce genre de fleur ne pousse pourtant pas d'une seconde à l'autre !
Non, elle s'est immiscée dans mon intimité sans éveiller ma curiosité,
elle a tranquillement fait surface et pendant des jours
je l'ai vue dans la voir.
Aujourd'hui, voilà qu'un état particulier de ma conscience
me la montre vraiment.
Beaucoup d'autres fleuriront en douce
et bientôt je ne me souviendrai plus à quoi ressemblaient mes mains
avant les fleurs de cimetière" ...
Daniel Pennac - in "Journal d'un corps"
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Mai 16 2012
Les Fleurs de Cimetière
"Cette petite tâche de café sur le dos de ma main, pendant que j'écris.
Un brun très dilué. Je la nettoie du bout de l'index. Elle résiste.
J'y ajoute de la salive, elle tient bon.
Une tache de peinture ? Non, l'eau et le savon n'y font rien.
La brosse à ongles pas davantage.
Je dois me résoudre à l'évidence :
ce n'est pas une tâche sur ma peau,
c'est une production de ma peau elle-même.
Une marque de vieillesse, remontée des profondeurs.
De celles qui parsèment les vieilles figures
et que Violette appelait des fleurs de cimetière.
Depuis quand a-t-elle poussé là ?
Que je signe des papiers au bureau,
que je mange ou que j'écrive ici à ma table,
le dos de ma main est presque constamment sous mes yeux
et je n'ai jamais remarqué cette tache !
Ce genre de fleur ne pousse pourtant pas d'une seconde à l'autre !
Non, elle s'est immiscée dans mon intimité sans éveiller ma curiosité,
elle a tranquillement fait surface et pendant des jours
je l'ai vue dans la voir.
Aujourd'hui, voilà qu'un état particulier de ma conscience
me la montre vraiment.
Beaucoup d'autres fleuriront en douce
et bientôt je ne me souviendrai plus à quoi ressemblaient mes mains
avant les fleurs de cimetière" ...
Daniel Pennac - in "Journal d'un corps"
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