Août 21 2018
"Je suis sensible à une chose dont j’entends peu parler : la juste taille d’un livre.
En tant que lecteur, j’estime que la plupart des livres que je parcours n’ont pas leur juste taille : celui-ci en fait trois cents alors que le sujet en appelle cent, celui-là se limite à cent vingt tandis qu’il en commande cinq cents. Pourquoi la critique littéraire continue-t-elle à éviter ce critère ? Elle se contente généralement de souligner les longueurs, mais uniquement quand c’est terriblement flagrant.
Carence d’autant plus surprenante que, dans les autres arts, on mesure cette adéquation du fonds et de la forme. En sculpture, on s’étonnera qu’un artiste cisèle un ensemble monumental dans une petite pierre ou découpe un pissenlit dans un granit de six mètres de haut ; en peinture, on saisit le rapport entre le cadre, sa dimension, et le sujet ; en musique, on juge parfois que tel ou tel matériel musical est insuffisant pour la durée de tel ou tel morceau. En littérature, jamais.
Je porte en moi cette conviction que chaque histoire a une densité propre qui exige un format d’écriture adapté.
Beaucoup de romans ne sont que du pâté d’alouette : un cheval, une alouette, autrement dit davantage de remplissage que d’éléments purs. Bien souvent, ça tire à la ligne, les descriptions exhaustives virent au constat d’huissier, les dialogues miment la vie et détruisent le style, des théories se recyclent arbitrairement, les péripéties se multiplient comme un cancer.
Quand une maison d’édition new-yorkaise a publié Monsieur Ibrahim et les fleurs de Coran aux États-Unis, un des éditeurs m’a demandé si je ne pouvais pas recommencer ce récit de quatre-vingts pages pour en faire un minimum de trois cent cinquante pages en développant le destin de Mme Ibrahim, des parents de Momo, des grands-parents, des camarades d’école…"
Eric-Emmanuel Schmitt
Extrait du Journal d’écriture, Concerto à la Mémoire d'un Ange
Par Soriah • Eric-Emmanuel Schmitt •
Août 21 2018
La Juste Taille d'Un Livre
"Je suis sensible à une chose dont j’entends peu parler : la juste taille d’un livre.
En tant que lecteur, j’estime que la plupart des livres que je parcours n’ont pas leur juste taille : celui-ci en fait trois cents alors que le sujet en appelle cent, celui-là se limite à cent vingt tandis qu’il en commande cinq cents. Pourquoi la critique littéraire continue-t-elle à éviter ce critère ? Elle se contente généralement de souligner les longueurs, mais uniquement quand c’est terriblement flagrant.
Carence d’autant plus surprenante que, dans les autres arts, on mesure cette adéquation du fonds et de la forme. En sculpture, on s’étonnera qu’un artiste cisèle un ensemble monumental dans une petite pierre ou découpe un pissenlit dans un granit de six mètres de haut ; en peinture, on saisit le rapport entre le cadre, sa dimension, et le sujet ; en musique, on juge parfois que tel ou tel matériel musical est insuffisant pour la durée de tel ou tel morceau. En littérature, jamais.
Je porte en moi cette conviction que chaque histoire a une densité propre qui exige un format d’écriture adapté.
Beaucoup de romans ne sont que du pâté d’alouette : un cheval, une alouette, autrement dit davantage de remplissage que d’éléments purs. Bien souvent, ça tire à la ligne, les descriptions exhaustives virent au constat d’huissier, les dialogues miment la vie et détruisent le style, des théories se recyclent arbitrairement, les péripéties se multiplient comme un cancer.
Quand une maison d’édition new-yorkaise a publié Monsieur Ibrahim et les fleurs de Coran aux États-Unis, un des éditeurs m’a demandé si je ne pouvais pas recommencer ce récit de quatre-vingts pages pour en faire un minimum de trois cent cinquante pages en développant le destin de Mme Ibrahim, des parents de Momo, des grands-parents, des camarades d’école…"
Eric-Emmanuel Schmitt
Extrait du Journal d’écriture, Concerto à la Mémoire d'un Ange
Par Soriah • Eric-Emmanuel Schmitt • 0