La Mère De Tous Les Peuples

 

Amis qui me lisez,
Je ne sais ce qui m'a poussé ce matin à vouloir partager avec vous ces lignes extraites de mon dernier livre, "Le Chamane et le Christ". Peut-être le fait que la Terre Mère qui nous accueille a tant de difficulté à accoucher de nous en tant qu'êtres humains dignes de ce nom... Ce n'est pourtant pas la Mère qui faillit, c'est l'apprenti humain qui est rétif face à la dignité de pouvoir marcher debout, sans détour et face au Soleil.

Cet extrait nous amène au sein d'une hutte à sudation lors d'une cérémonie appelée "inipi" destinée à accéder à un état de conscience supérieure par l'intermédiaire d'une vision.

"Je n’ai plus eu d’autre perception de mon être que celle d’une brume lumineuse et de l’oeil de ma conscience qui se tenait au centre d’un espace immaculé. La paix totale…

Tout aurait pu s’arrêter là… Mon coeur aurait pu décider de suspendre ses battements…
Et pourtant… Un point, d’abord imperceptible, s’est peu à peu expansé au sein de cet océan virginal. Il a pris forme de lui-même ainsi que savent parfois le faire certains nuages dans la pureté des cieux...

Une Femme se tenait debout devant moi, autour de moi et peut-être même en moi. Comment dire autrement sinon qu’Elle occupait toute la place de Tout, à la fois imposante par sa majesté et tellement gracile…

C’était… Mon coeur éprouvait une terrible peine à oser le balbutiement d’un nom…

Aatentsic, la mère de tous les hommes ? (1) Marie, la mère de Jésus ? Comment percevoir cette Femme dans sa vérité ? Comment capter les mots précis et justes ? La couleur de sa peau et celle de sa robe étaient elles-mêmes insaisissables.

Et voilà que tout à coup j’ai perçu la forme d’un enfant dans ses bras, un enfant qui tenait d’une main un mandella (2) et de l’autre un morceau de pain.

J’ai eu presque peur tant et si bien qu’un bref instant, j’aurais voulu tout éteindre de leurs deux silhouettes qui n’en faisaient qu’une… Une seule Présence, une seule Réalité si volontaire mais si tendre aussi qu’elle me faisait mal.

C’est alors que j’ai reçu son sourire, senti son Souffle me traverser… et que je me suis vu stupide avec ma pauvreté humaine… juste assez pour qu’un second sourire me soit offert et que quelques mots viennent me caresser.

- "Le nom est un obstacle pour toi, Wantan ? Il l’a toujours été. À commencer par le tien… Quant à moi, j’en porte beaucoup… Choisis donc celui que tu préfères et… si tu ne sais pas choisir, alors appelle-moi la Mère de tous les peuples…".

La Mère ? C’était en même temps si évident et si difficile à accepter, à intégrer ! Devais-je comprendre l’Ancêtre des Ancêtres ? Elle était pourtant si… jeune qu’elle semblait dire que rien ne l’avait jamais troublée.

"Oui, la Mère", a-t-elle répété en moi. Puis elle a disparu comme si le soleil ou la lune s’étaient estompés d’un coup dans une cruelle douceur à jamais semeuse de nostalgie.

– "Oh…" Je me souviens de ce cri, de cet expir épuisé qui a jailli de ma poitrine dans le sacré de l’instant. Il m’a fait retomber dans ma chair et l’obscurité étouffante de mon sanctuaire.[...]

Désormais, c’était limpide… Mon coeur ne cessait de me répéter qu’Aatentsic et Marie avaient le même visage profond, que leur Essence était Une et que c’était par la Grâce de Son enfantement perpétuel que l’Humain pouvait apprendre à accoucher de lui-même en chaque homme et chaque femme. Découvrir cela était tellement grand !

(1) Aatentsic représente globalement la Déesse Mère dans la tradition wendate et parmi les peuples algonquins.

(2) Un mandella est un bouclier de paix, symbole de protection.

Illustration : auteur non identifié.

© Daniel Meurois "Le Chamane et le Christ" - Chapitre XVI